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    C'est de mauvaise humeur que se réveilla Adeline ce matin là. Elle s'était couchée tard la veille et avait raté le travail. Son patron lui avait passé un savon quand il l'avait réveillée. Tout ça parce qu'elle avait espéré voir apparaître Ryder jusqu'au dernier moment.

     

     - Tu n'es apparemment pas à prendre avec des pincettes ce matin ? la taquina Aï qui venait de descendre. Il faudrait peut-être manger ton assiette tant que c'est chaud, non ? Au lieu de jouer avec ce qu'il y a dedans ...

     

    - Tu n'as même pas remarqué que j'avais accroché le tableau de ton père au dessus de la desserte. J'ai un peu avancé le déballage pendant que tu dormais ce matin...

    - Et tu n'aurais pas pu me réveiller ? Maintenant, j'ai perdu un jour de congé... Crois moi qu'il me le fera payer en me le rappelant à tout bout de champs !

    - Désolée, comme tu ne m'avais rien dit, j'ai pensé que tu avais un jour de repos. Tu as eu une promotion dernièrement et je ne connais pas tes nouveaux horaires ! Je tiens à te préciser que je ne suis pas devin...

    - Excuses moi, Aï. C'est à moi d'être navrée... En ce moment, je suis loin d'être au mieux de mon entrain habituel. Le fait d'avoir revu Cass et Ryd m'a ramené des années en arrière... Je vais essayer de me reprendre. Je te le promets.

     

    Comme pour prouver ses dires, elle se rendit au salon afin de se détendre avec un bon livre, faisant d'une pierre deux coups en remplissant, ce faisant, sa mission du jour pour la reprise du travail le lendemain .

     

     Au bout de quelques minutes, elle referma son livre... Elle n'avait pas réussi à en lire beaucoup mais tout au moins suffisamment pour ne pas se faire remonter les bretelles par son patron. Elle ne savait pas ce qu'elle pouvait faire, rien ne lui faisait envie...

     

    - Tu as déjà terminé ? la questionna Aï, la surprenant à rêvasser.

    - Oups ! Aï ! Tu m'as fait peur.... Pour répondre à ta question, non, j'ai du mal à me concentrer sur ce livre rasoir au possible que...

    - Tu n'as qu'à essayer de faire autre chose un petit moment avant de t'y remettre, à moins que le problème ne soit ailleurs...

    - Que veux-tu dire ?

    - Que ces derniers temps, tes pensées sont souvent tournées vers Ryder ... Non, laisse moi finir. dit-elle à son amie quand elle la vit sur le point de répliquer. J'ai conscience que tu penses sincèrement être amoureuse de lui, car il t'a énormément soutenue à une période difficile de ta vie. Je tiens à te redire, même si cela te fait mal, que je ne pense pas qu'il partage tes sentiments un jour. Certes, il t'aime bien, t'a toujours donné de ses nouvelles lors de ses voyages, mais il n'a jamais eu de geste équivoque à ton égard... A moins qu'il ne soit un comédien hors pair, ce dont je doute fortement. Je ne saurai trop que te conseiller de te reprendre. Et vite, sous peine de mettre à mal ton avenir professionnel. Ce qui serait dommage après tous ces efforts que tu as fournis...

    - C'est bon ? Tu en as terminé avec ton sermon ? Je sais que cela part d'une bonne intention et de ton inquiétude à mon sujet mais je ne suis pas d'accord avec toi... Je pense que Ryd m'aime mais qu'il n'en a tout simplement pas conscience...

    - Dans ce cas, je peux te dire que tu n'en as pas conscience, mais il me semble que tu es amoureuse de Garrett, depuis ce fameux baiser volé, voire même avant. Sinon comment expliquerais-tu ta violente réaction à son égard ? Tu n'aurais jamais été aussi blessée ni haineuse envers lui. De l'amour à la haine, il n'y a qu'un pas...

    Avisant soudain les éclairs dans les yeux de la jeune femme, Aïlys prit rapidement congé et disparut dans les airs en une fraction de secondes.

     

    Adeline posa son livre au sol avec énervement. Elle l'aurait bien envoyé sur Aï mais cette dernière sentant l'orage venir, s'était éclipsée au bon moment. A défaut de pouvoir régler son compte à cette traîtresse, elle se défoula sur un jeu d'ordi ressemblant fort à Tétris.

     

    Une heure après, complètement calmée, elle monta prendre une douche afin de pouvoir faire un tour au nouveau bar-pub qui venait d'ouvrir ses portes en ville.

     

    Alors qu'elle se shampouinait, ses pensées vagabondaient une fois de plus. Elle réalisa, avec le recul qu'Aïlys n'avait peut-être pas tout à fait tort à propos de Ryder bien qu'il lui en coûta de le reconnaître. Elle avait toujours espéré qu'il la remarque et fasse ne serait-ce qu'un pas vers elle... Elle n'était plus une jeune ado depuis quelques années déjà et si elle voulait fonder une famille, elle ne pouvait se permettre de l'attendre ad vitam aeternam, sous peine d'être vieille et mourir sans avoir connu l'amour d'un homme ni la joie d'être maman... Il lui faudrait se décider. Quand à Garrett, Aï pouvait toujours se faire des idées, il lui était impossible, elle refusait ne serait-ce même que la plus petite insinuation du moindre sentiment à son égard. Elle espérait bien ne jamais le revoir de sa vie.

     

    Cela faisait maintenant près de deux heures qu'elle était sortie sans avoir revu Aï. Ce nouveau bar était du tonnerre et possédait un coin lecture très bien achalandé en ouvrages de toutes sortes. Elle rêvassait tout en cherchant un titre que son patron lui avait conseillé de trouver, quand elle fut interrompue par une voix, reconnaissable entre toutes. C'était vraiment pas de chance.

    - Bonjour Princesse. Je suis très heureux de te voir. Cela faisait longtemps... 

    - Garrett ! Sors toi de derrière mon dos. Tu me déranges. Quand vas tu comprendre que ta présence m'indispose au plus haut point ? Serais-tu devenu sourd, idiot en plus d'être un goujat infatué de sa personne ?

    - A ce que je vois, tu n'as pas changé... Tu sors toujours les griffes en ma présence... Cela me navre réellement. Tu n'as donc pas pitié d'un homme qui se meurt d'amour pour toi ?...

     

    Le poussant sans ménagement afin de pouvoir passer, elle s'éloigna décidant de l'ignorer avec superbe. Malheureusement Garrett la rattrapa et la tira à elle en la tenant par le bras. Il planta son regard bleu dans le sien.

    - Je suis tout ce que tu veux. Il faudra bien un jour que tu arrêtes de me fuir Princesse. Il va falloir que tu acceptes que je t'aime comme un fou. C'est un qualificatif dont tu as oublié de m'affubler, ce me semble...

    - C'est bon, tu as fini ? Murmura-t-elle, troublée, malgré elle, à son contact. Lâches-moi, tu me fais mal. finit-elle par s'écrier, paniquée par les sentiments qu'elle sentait monter en elle.

     

    Elle tenta de le repousser mais cela n'eut pour résultat que de la troubler davantage et de réduire la distance qui les séparait.

     

     - Je n'avais jamais remarqué les petite étincelles mordorées de tes iris... Tu es si belle... Quand vas-tu cesser enfin de lutter contre tes sentiments ? Nous ne sommes pas heureux loin de l'autre... Quand vas-tu cesser de nous faire souffrir ?...

     

    - Jamais. balbutia-t-elle, infiniment troublée, luttant pour échapper à son emprise hypnotique. Tu te fais des illusions. Je suis amoureuse de Ryder...

     

    - Tu continues à te mentir à toi même après toutes ces années ?... C'est dur. Tu m'en veux donc à ce point après tant d'années... Je ne comprends plus. dit Garrett, désabusé et découragé, relâchant petit à petit son étreinte autour du bras d'Adeline pour ne tenir plus que sa main.

     

    Adeline commençait à s'impatienter. Ce jeu auquel il jouait ne l'amusait pas du tout, surtout qu'elle avait peur de céder si jamais il s'éternisait trop longtemps.

    - Tu me tiens toujours la main, au cas où tu ne t'en serai pas aperçu. Je peux la récupérer ?...

    - N'ai pas peur, je ne vais pas te faire de mal. Je ne pourrai jamais t'en faire...

     

    - Adi, laisse nous une chance. Je t'ai toujours aimé, je t'en supplie crois moi... J'ai été plus maladroit et bête que vraiment méchant à l'époque... Tu m'impressionnais tant... Même encore aujourd'hui...

     

    - Bon tu as fini ou faut-il sortir les violons ? coupa Adeline, consciente d'avoir été plus méchante que nécessaire avant de le planter là.

    En s'éloignant elle pestait intérieurement et regrettait ses paroles. Mais c'était de sa faute aussi ! Pourquoi tenait-il tant à revenir sur le passé ? s'interrogeait-elle malgré elle, curieuse de connaître ses motivations. Serait-il possible qu'il dise la vérité ?

     

    Quelques instants plus tard, elle le sentit approcher. Il s'assit non loin d'elle sur le canapé d'à côté. Elle ressentait tellement sa présence qu'elle ne pouvait s'empêcher de glisser un oeil vers lui par moments, sans qu'il s'en aperçoive. Il ne bougeait pas...

     

     Alors qu'elle se levait afin d'aller choisir un autre livre, elle le sentit arriver dans son dos. Sans plus attendre, les nerfs à fleur de peau, elle lui lança excédée.

    - Tu n'as vraiment rien d'autre à faire que me suivre comme un petit chien ? Franchement Garrett, qu'attends tu de moi ? Je ne crois pas en tes histoires Monsieur le casanova playboy de ces dames ? Allez, vas-y, crache le morceau, qu'on en finisse une bonne fois pour toutes...

    - Je te l'ai déjà dit mais tu n'écoutes pas Princesse. C'est toi que je veux. Tes baisers, tes caresses... Puis ta réaction face à mes anciennes aventures me donnerai à croire que tu ne m'es pas aussi indifférente que tu veux me le laisser croire...

     

    - Arrête ton char ! D'où te viens une idée aussi grotesque ! Jamais je ne pourrais être amoureuse d'un homme tel que toi. Je ne pourrai jamais te faire confiance...

     

    - Si je comprends bien, tu ne ressens vraiment rien pour moi et tout ce que je pourrais faire n'y changera rien. Je ne saurais éveiller ton désir d'aucune manière que ce soit, c'est bien ça ?

    - Oui. répondit-elle, loin d'être rassurée par le tour que prenait leur conversation.

     

    - Donc si ce que tu dis est vrai et que tu ne mens pas, tu n'as aucune raison de refuser de passer un moment avec moi ce soir.

     

    - C'est que je dois vraiment rentrer. J'ai un rendez-vous ce soir...

    - J'avais donc raison, tu inventes encore un prétexte fallacieux pour refuser sans te mettre réellement en port-à-faux. Malgré tout ce que tu peux dire ou penser, je te fais de l'effet. Et cela t'énerve à un point... Je pense que tu me repousses car tu n'assumes pas ce que tu ressens pour moi... Tu es incapable de ne serait-ce que m'embrasser... Tu aurais trop peur de ne pouvoir assumer ce qui en découlerait

    Ebahie d'être ainsi devinée, Adeline ne sut que répondre à cet instant.

     

    - Je ne ressens ni ne ressentirais jamais rien pour toi et vais te le prouver. Mais tu dois me promettre de me laisser tranquille ensuite et de ne jamais chercher à me revoir... annonça-t-elle d'une petite voix en fixant Garrett au fond des yeux, luttant pour ne rien ressentir et espérant pouvoir donner le change.

    - Tu en es bien incapable. Tu vis dans le passé depuis trop longtemps...

     

    Avant de perdre tout courage afin de se prouver qu'elle pouvait le faire et qu'elle ne l'aimait pas, elle l'embrassa le prenant par surprise, lui coupant par ce geste la parole. D'abord étonné, il resserra son étreinte autour de sa taille, la serrant contre lui en approfondissant leur baiser.

     

    Adeline perdit pied. Le trouble du baiser de Garrett lui faisait découvrir des sensations inconnues. Jamais, elle n'aurait voulu que cet instant finisse. Elle ne savait plus où elle en était. Mais en cet instant précis, Ryder était bien loin de ses préoccupations premières. Ils passèrent quelques minutes à s'embrasser, ne pouvant se lâcher. Plus Garrett l'embrassait, plus les papillons qu'elle sentait bouger au creux de son ventre s'agitaient. Son désir montait tellement qu'elle en avait presque mal. Prenant soudain peur, elle le repoussa et s'enfuit en courant jusque chez elle.

     

    Dans la cuisine, elle s'escrimait à faire le dîner. Quand elle repensait aux moments passés avec Garrett, son ventre se tordait, réclamant... Elle était en colère contre elle-même. Jamais elle n'aurait pensé que les baisers de Garrett lui feraient un effet aussi dévastateur. Elle ne voulait pas l'aimer...

     

    Mais malgré elle, ses pensées la ramenèrent à ces moments où elle avait eu l'impression d'être à sa place dans les bras de Garrett. Ryder lui ferait-il le même effet ? Déjà, elle avait l'impression de s'adoucir vis-à-vis de cet homme et cela ne lui plaisait pas du tout.

     

    Ce soir là, elle ne fut pas de bonne compagnie. Aï pressentant qu'il s'était passé quelque chose la laissa tranquille attendant qu'elle soit prête à lui en parler. Adeline ne mangea pas grand chose et monta vite se coucher,épuisée moralement.

     

     Une fois au lit, elle se tourna puis retourna, ayant du mal à trouver son sommeil. Elle aurait aimé que Garrett soit là... Elle avait peur d'être vraiment amoureuse de lui et s'être menti depuis tout ce temps... Elle ne voulait pas de cet amour ni continuer à souffrir... Qu'allait-elle faire ? Voulait-elle lui donner une chance, quitte à y laisser plus de plumes... Au bout de quelques heures, elle finit enfin par s'endormir.


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